Le Président Edouard Fritch s’est exprimé, jeudi matin, à l’Assemblée de la Polynésie française, dans le cadre de l’examen du collectif budgétaire consacré aux moyens mis en œuvre pour lutter contre le coronavirus.

« Chers amis,

Je suis heureux de vous retrouver après trois mois de dispersion en raison des dernières élections municipales. La plupart d’entre vous était impliquée dans les élections en tant que tête de liste ou en tant que colistier.

Inutile de vous détailler les raisons de cette séance d’urgence puisque nous sommes toutes et tous impliqués dans le combat pour lutter contre l’épidémie du coronavirus.

Merci pour votre présence, elle nous permettra d’intervenir au plus tôt.

Cette épidémie provoquée par un nouveau virus a mis le monde entier en état d’alerte maximum. La situation de crainte extrême a même conduit, vous vous en souvenez, le Président de la République, Emmanuel Macron, à dire publiquement que « nous sommes en guerre ». C’est dire combien ce phénomène sanitaire a pu déstabiliser le monde. Vous pouvez être la plus grande puissance nucléaire du monde et être paralysée par ce minuscule organisme invisible à l’œil nu. Quel paradoxe !

Ce virus n’a pas, pour l’heure, de médicament. Il est nouveau. Il se propage vite. Il effraie les personnes âgées, les personnes fragiles, ces personnes qui nous sont chères, et sur qui nos familles veillent particulièrement pour que leur présence auprès de nous puisse durer le plus longtemps possible.

Aussi, la seule solution est le confinement et l’absence de contact entre les personnes pour éviter que ce virus soit transmis d’une personne à une autre. Et pour les personnes infectées, supporter les symptômes, fièvre et toux, jusqu’à la guérison.

Ce coronavirus est un inconnu. Il est invisible. Il est capable de bloquer la terre entière. Il peut passer toutes les frontières comme un clandestin. Et comme tout inconnu, il fait peur. Il fait du mal à nos familles, comme il fait du mal au monde entier.

C’est cette peur qui crée une panique mondiale, avec en plus la force des médias.

Cette panique est arrivée jusqu’en Polynésie française. Elle a conduit des Polynésiens à juger et à condamner leurs frères et sœurs en proférant des méchancetés inouïes comme nous l’avons constaté lorsque notre députée Maina Sage fut déclarée positive. J’ai cru, un moment, que nous étions revenus au Moyen Âge. Je vous le dis, j’ai eu un sentiment de honte à l’égard de ces personnes polynésiennes qui ont livré leurs instincts les plus primaires. Je me suis dis que cette attitude n’est pas polynésienne, pas maohi, car trop éloignée de nos valeurs chrétiennes, de nos valeurs de solidarité, de compassion envers le malheur des autres.

Il est écrit que : « Celui qui veille sur sa bouche garde son âme. Celui qui ouvre de grandes lèvres court à sa perte ».

Vous savez, dans toute situation, il y a toujours des leçons à tirer. C’est dans une situation de crise que l’on voit la valeur et le vrai visage des personnes, que celles-ci soient des dirigeants ou de simples citoyens.

Une crise est généralement un moment où on voit comment les personnes se comportent :

  • En individuel ou en collectif ?
  • En partage ou en égoïste ?
  • En corporation ou en intérêt général ?
  • En discipline ou en anarchie ?
  • En obéissance ou en contestation ?

Et nous en Polynésie ? Quel visage avons-nous donné de nous-mêmes au sein de nos familles, de nos lieux de travail, de nos lieux de loisirs, de nos lieux de culte ? Comment nous sommes-nous comportés ?

J’invite chacune et chacun à faire son examen de conscience. Cet examen doit nous aider à grandir au travers de cette expérience. Grandir en vérité, grandir en humanité, grandir en justice, grandir en amour.

En Polynésie, cette crise a conduit nos partenaires à aborder la situation sous le seul angle financier. Bien sûr, c’est important. Ce collectif va nous permettre de dégager des moyens financiers pour faire face à la crise avec le moins de « casse » possible. Nous y arriverons par nos propres moyens en mobilisant tout, absolument tout ce que nous avons pu économiser depuis 4 ans. Je ne vais pas vous étaler les milliards de francs de ce collectif budgétaire, puisque vous les avez dans les dossiers qui vous ont été remis.

Mais, j’estime que c’est insuffisant. L’argent ne guérit pas tout. Je vous invite à regarder plus loin.

Après cette crise, reprendrions-nous notre train-train quotidien comme si rien ne s’était passé ? Devrions-nous continuer à cheminer sans nous remettre en cause ?

Cette crise doit nous conduire collectivement à poser des questions de fond.

Devons-nous changer nos modes de travail ? Changer nos modes de consommation ? Changer nos modes de vie dans nos familles ? Changer notre relation avec notre environnement ? Changer notre regard sur notre propre culture et notre patrimoine ? Changer notre regard à l’égard de nos anciens ? Changer nous-mêmes ?

Permettez-moi une évocation. Vous savez, j’ai le sentiment, ce n’est qu’une intuition, que cette épidémie causée par un virus est en quelque sorte une alerte lancée par notre Mère nature. N’est-elle pas entrain d’interpeller les humains sur leurs comportements dévastateurs ?

Ça me fait rappeler les propos tenus par le pape François dans son encyclique Laudato Si’. En effet, le Pape nous dit que « notre maison commune est comme une sœur avec laquelle nous partageons l’existence et comme une mère, belle, qui nous accueille à bras ouvert. C’est pourquoi, parmi les pauvres, les plus abandonnés et maltraités, se trouve notre Terre opprimée et dévastée qui gémit en travail d’enfantement ». Ceci me renvoie également, d’une manière très étrange, à la chanson de feu Papi Paimore « Te aue nei, te uuru nei te mau natura ».

Vous savez, je veux le meilleur pour mon peuple et pour mon pays. Je veux partager cet idéal avec chacune et chacun d’entre vous. Mais, je n’y arriverais pas avec des « y’a qu’à, faut qu’on ». Je n’y arriverai pas seul, si vous ne partagez pas cet idéal avec moi.

Aussi, je voudrais rendre un hommage particulier à ceux que l’on entend pas et qui pourtant, tous les jours, et plus particulièrement maintenant, œuvrent à veiller, protéger et soigner ceux qui peuvent être en danger ou le sont déjà car atteints par l’épidémie.

Je pense au personnel du Centre hospitalier de Taaone et de la Direction de la santé, et plus généralement à tout le personnel médical et paramédical de notre pays.

Je pense à tous les hommes et femmes chargés de la sécurité de nos populations : celles et ceux de la Direction de la sécurité publique, de la gendarmerie, mais aussi aux pompiers et policiers municipaux qui, tous les jours et sans relâche, veillent sur nous.

Merci à mes collègues maires, fidèles à leurs missions d’être toujours au plus près de notre population. Vous êtes un relais essentiel dans la gestion de cette crise.

J’ai une pensée particulière pour nos tavana des îles, ceux des Marquises, des Tuamotu-Gambier, des Îles Sous-le-Vent et des îles Australes. Je me réjouis du fait que jusqu’à présent, nos îles sont épargnées. Restez vigilants sur le possible cas de contamination due au retour de certains membres de vos familles sur vos îles. Je pense en particulier à nos matahiapo et à nos enfants. Le maire de Rapa, que je félicite, a appliqué à la lettre les recommandations sur le confinement. C’est ce qu’il faut faire et vous devez être plus exigeants dans vos îles, encore saines, exemptes de coronavirus, si vous voulez vous épargner complètement de ce mal.

Merci au Vice-président et à nos ministres qui s’investissement sans compter leur temps, leur énergie, afin que le gouvernement réagisse au plus vite face aux urgences qui s’imposent.

Merci au Vice-président, ministre des finances et de l’économie, pour l’ensemble des mesures proposées et actées par le gouvernement, et aujourd’hui validées, je n’en doute pas, par votre honorable assemblée.

Merci au gouvernement tout entier d’accepter les coupes financières drastiques proposées ce jour à votre approbation et merci de vous être comportés plus en fourmi qu’en cigale. Nous récoltons aujourd’hui le fruit de nos économies qui nous permettent de faire face, avec dignité, à nos obligations de solidarité, d’entraide et de partage en ces temps difficiles.

Merci aux salariés et patrons, chefs d’entreprises de ce pays, d’unir vos forces et vos énergies pour assurer cette solidarité imposée par la crise que nous subissons.

Je pense aux congés annuels imposés aux salariés et à la lutte que devraient mener nos chefs d’entreprises pour sauver leurs sociétés. Nous sommes auprès de vous et nous vous accompagnerons.

Merci à nos actifs du secteur primaire, agriculteurs, pêcheurs, artisans. Nous comptons sur vous et sur vos productions pour continuer à alimenter nos marchés afin que les populations puissent satisfaire leurs besoins alimentaires essentiels.

Merci aux confessions religieuses, à leurs responsables, pour vos prières et votre bonne compréhension de la nécessité absolue de nous mettre en confinement et ainsi suspendre nos rendez-vous quotidiens ou hebdomadaires de prière, à un moment où nous en avons tant besoin.

Merci à nos présidents de parti, et en particulier au maire de Faa’a, pour ses messages et son soutien appréciable.

Je voudrais remercier chaleureusement mon partenaire le plus immédiat, le Haut-Commissaire Dominique Sorain, avec qui nous unissons nos forces, en cohérence et en complément, pour gérer au mieux toutes les complexités liées à l’étendue et à l’éloignement de nos îles.

Avec lui, ses équipes également qui au quotidien, avec les nôtres, partagent, analysent, agissent et décident des mesures indispensables à l’intérêt public et à la protection de notre Pays.

Les conséquences financières, il est vrai, sont énormes.

Mais si nous respectons tous, et tous ensemble, les recommandations des autorités sanitaires, et que nous respectons l’obligation de confinement, seul remède efficace contre la propagation de ce virus, nous limiterons l’ampleur des dégâts financiers, économiques, sociaux et humains.

La clé et le salut sont entre les mains de chacune et chacun d’entre nous.

Le confinement est un exercice difficile, contraignant bien sûr, et qui nécessite une organisation particulière pour nos familles habituées à « vivre dehors ». Nous devons réapprendre à rester à la maison, à occuper les enfants et à nous armer de patience. Nous devons réapprendre à découvrir les vertus du « fa’a’oroma’i » qui est une vraie leçon de vie.

Mes chers amis, jusqu’à présent, notre pays compte aucun décès dû au coronavirus Covid-19.

Je prie et remercie le Seigneur de continuer à nous épargner de la douleur causée par la perte d’un de nos compatriotes.

Par contre, nous enregistrons 30 cas avérés. C’est déjà trop. C’est la raison pour laquelle nous sommes passés de la phase 1 à la phase 3, phase de grande vigilance, d’exigence et de rigueur forte.

Je reste optimiste, le Haut-Commissaire tout autant que moi.

Nous devons sortir vainqueur de cette guerre et, très rapidement, réparer les dégâts. C’est un mauvais moment à passer.

Nous devons, tous ensemble, faire preuve de cohésion, d’unité et de force pour abattre cette épidémie. En agissant ainsi, ensemble, nous sortirons tous grandis de cette épreuve.

Que le Seigneur protège nos îles et ses habitants. Que Dieu nous bénisse.

Je vous remercie ».